En tant qu’être humain, chacun a sa propre approche du numérique. Source de progrès pour l’un, complexité pour l’autre, nous nourrissons des craintes et des espoirs. Qu’est-ce qui peut conditionner notre rapport aux nouvelles technologies et qui sont les technosceptiques ?
Peut-être avez-vous déjà entendu parler des luddites ? Ces saboteurs de machines organisés, ayant mené la révolte du même nom au début du 19° siècle en Angleterre.
Cette révolte tire son nom d’un certain Ned Ludd. Un ouvrier tisserand, qui en 1780 sabota un métier à tisser face à l’injonction qui lui était faite d’utiliser ce nouvel outil. Celui-ci bouleversait totalement la façon de faire son métier.
Ce personnage, dont on ignore s’il a réellement existé, a servi par la suite de porte étendard à la révolte des ouvriers-tisserands. Ils se voyaient imposer une transformation radicale de leur travail, via l’usage de nouvelles technologies. Les sabotages organisés qui entouraient cette démarche étaient soit revendiqués, soit annoncés par le biais de courriers signés du « général Ludd » ou du « Roi Ludd ».
Cette lutte généralisée de ce pan de l’économie est un exemple de peurs intemporelles. Elles peuvent être provoquées par l’exposition à de nouvelles technologies, sans préparation adéquate de ses utilisateurs.
Ces peurs sont liées à la crainte de la dépossession d’un savoir-faire ancestral, ainsi que de la disqualification sociale. En effet, dans cette situation, les ouvriers tisserands ont perçu la nouvelle technologie comme une menace. Au lieu, de la considérer comme une opportunité leur permettant de concentrer sur leur savoir-faire plutôt que les tâches répétitives. Ces évènements malheureux peuvent aujourd’hui être prévenus. Et notamment en proposant des accompagnements au changement. L’objectif est de viser une appropriation progressive de la nouvelle technologie et de tempérer son impact sur ses utilisateurs.
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Cette crainte de la dépossession n’a aujourd’hui pas disparu. Elle alimente encore les néo-luddites qui contestent l’idée que les innovations technologiques seraient sources de progrès. Ces mouvements parfois extrêmes, peuvent aller jusqu’à la destruction organisée de matériel en guise de symbole de révolte, face à la révolution numérique et technologique.
Ce type de mouvements est certes marginal, mais il doit être entendu pour comprendre notre rapport à la technologie. Avec l’avènement de thématiques telles que l’usine du futur, l’intelligence artificielle, l’IOT, le smart et big data ou encore l’automatisation des processus de fabrication, on assiste à une résurgence de cette crainte de la disqualification sociale. Et donc, la peur de la dépossession des savoirs-faire.
A titre d’exemple, les prévisions en la matière ne sont absolument pas consensuelles et tablent sur une destruction de 6 à 47 % de l’emploi ou au contraire prévoient des créations massives d’emplois… difficile de s’y retrouver. Il semble peu évident de s’abstraire de la représentation que l’on a de la technologie. De plus, tout changement rapide lève le voile sur des fantasmes et croyances. On est bien loin de l’idéal rationnel que l’on veut bien montrer.
Les nouvelles technologies exercent un pouvoir de fascination important dans les imaginaires, au point d’alimenter tant des utopies que des dystopies. Les deux versants ayant tout autant d’éléments à nous apprendre sur notre façon d’appréhender les transformations et la technologie.
Le développement de nouvelles technologies est prometteur et permet le progrès. Pour autant, son déploiement incontrôlé et irréfléchi peut mener à des dérives et extrêmes. Elles peuvent être tout aussi inadaptées qu’une résistance massive et indifférenciée.
Pourtant, les nouvelles technologies exercent un attrait considérable. Des travaux de recherches académiques, à l’instar de ceux de Maria Elena Osiceanu, montrent que nos sociétés postmodernes valorisent la technophilie. Au point d’en faire une norme de jugement.
En effet, les normes sociales sont des guides pour la pensée et désignent implicitement les conduites à tenir dans un contexte donné. Aussi, toute personne qui contreviendrait à cette norme technophile serait donc perçue comme déviante. Elle subirait alors, un ensemble de pressions à la conformité, induisant donc des feedbacks négatifs à son encontre. Pour imager, appartenir aux technophobes serait aussi bien vu que d’être contre la paix dans le monde.
Cette norme technophile est si bien ancrée dans les représentations, qu’elle conduit à des pratiques proches de celles que l’on peut observer dans les cultes religieux. Certaines marques l’ont d’ailleurs bien compris et vont jusqu’à entretenir l’analogie en surfant sur la dévotion de leur « fidèles ».
On voit donc bien que notre rapport à la technologie, d’un point de vue social, culturel et sociétal est générateur d’ambivalences et d’injonctions paradoxales. Adopter la technologie sans réserve est un idéal. Faire face à une complexification croissante de nos écosystèmes d’outils est une limite importante à la toute-puissance vantée par l’idéal numérique.
Cette ambivalence, la complexité croissante, l’accélération du rythme sont autant de facteurs qui favorisent le techno stress.
L’exemple le plus probant peut s’illustrer par l’ouverture de l’ordinateur le lundi matin ou au retour de vacances. Lorsque notifications, boîte mail, sollicitations des réseaux sociaux et demandes de mise à jour en tout genre se livrent à un oppressant ballet. Tout cela vise à capter notre attention. Sans parler de votre collègue tout aussi oppressant qui n’a de cesse de vous parler de son dossier « urgent à terminer ASAP ».
Ces rapports à la technologie influencent donc leur perception et leur acceptation. Il est alors nécessaire d’adapter ses méthodes d’intervention et de conduite du changement en fonction de cette perception des utilisateurs finaux.
Chaque typologie doit donc faire l’objet d’initiatives distinctes :
Quelle que soit votre relation aux technologies, elle n’est pas figée. Elle évolue en fonction de votre familiarité avec ces dernières, ainsi que l’accompagnement dont vous bénéficiez dans cet exercice. Rien n’est donc gravé à jamais ! Le fait de repérer et d’analyser votre rapport à la technologie est un premier pas qu’il peut être intéressant de réaliser afin d’assainir si nécessaire ses usages.
En synthèse : les technologies peuvent faire émerger des craintes profondes comme on peut souvent le voir lors de l’intégration rapide de nouveaux outils de production. Prévenir ces résistances, qu’elles soient violentes ou non, nécessite de considérer la diversité des points de vue. Et ensuite, d’adapter la structuration de sa conduite du changement, afin de proposer un parcours optimal vers une expérience utilisateur efficiente.
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Fabien Silone, PhD
Consultant en innovation & gestion du changement