La notion d’écosystème se fait, ces dernières années, une belle part sur le devant de la scène stratégique. Et ce, quel que soit le secteur d’activité. Mais comment faire fonctionner système d’information et opérationnels en écosystème ?
Pour penser et travailler autrement, il faut être capable de gérer la complexité du monde qui nous entoure. Cela passe par l’observation des limites des modèles économiques dominants, les relations d’affaires aux périmètre limités ou encore la course aux partenariats pour couvrir les besoins parfois flous et faire face à la pénurie de talents… Cet exercice, certes inconfortable lorsqu’il est inhabituel, invite à préférer la complexité à la multiplication de solutions simples décorrélées les unes des autres, aux synergies hasardeuses.
Concrètement, un écosystème d’information, repousse les limites habituelles du SI en intégrant dans son périmètre les données, informations et connaissances issues des écosystèmes adjacents. C’est-à-dire que les éléments fondamentaux que sont les ressources humaines, matérielles et immatérielles constituées ne se limitent plus aux frontières de l’organisation qui en assure la gestion. Les résultats sont ainsi décuplés pour ceux qui ont la capacité de capitaliser sur les connaissances créées par d’autres.
Bien qu’abstraite comme notion, c’est la recette de la réussite des plateformes à succès que l’on connait aujourd’hui. Décryptage.
Telles sont les questions abordées dans cet article.
Raisonner en termes d’écosystèmes permet plus d’adaptabilité au contexte d’incertitude qui nous frappe. C’est sans doute pourquoi dès les années 1980, les entreprises et collectivités ont commencé à regrouper territorialement leurs activités autour de pôles de compétitivité, de clusters ou encore de zones d’activité et de SPL (Systèmes de Production Localisés) en s’orientant davantage sur la complémentarité que ne l’étaient les districts industriels spécialisés et spécifiques de la fin du 19e siècle (sidérurgie, textile …). Ce modèle d’organisation écosystémique des relations s’est progressivement diffusé notamment sous l’impulsion des travaux de Porter en 1985.
La définition générique d’un écosystème pourrait être la suivante :
Ensemble dynamique d’êtres vivant fonctionnant en interaction avec leur environnement, physique, matériel et social.
Dans la lignée de sa définition, ce champs d’étude a fait l’objet d’élargissement aux activités humaines et donc fondamentalement sociales. En effet, l’auto-organisation, le relatif équilibre et la stabilité qui caractérisent les écosystèmes en font un modèle de choix pour les organisations humaines. Ainsi, par extension, dans le cadre de la gestion d’entreprise, il n’est pas rare de croiser ce terme protéiforme. Il peut alors être appliqué à :
Attardons nous sur les implications de cette notion pour la gestion du système d’information.
L’une des particularités du fonctionnement écosystémique réside dans le fait que la dynamique de fonctionnement repose sur des réseaux complexe et faiblement hiérarchisés. Ils s’inscrivent en rupture avec la linéarité plus facilement appréhendable par tout un chacun. A ce titre, Greg Satell (auteur de best-sellers sur l’innovation) définit l’écosystème comme “un réseau de réseaux”. C’est-à-dire, complexe et non linéaire, dont le pouvoir émane du centre (par opposition à l’organisation pyramidale dans une structure hiérarchique). La dynamique de création de valeur n’en devient que plus difficile pour un acteur car elle repose sur la synergie de l’ensemble, plutôt que sur un pouvoir centralisé et descendant.
Ainsi, les modalités relationnelles de fonctionnement ne reposent plus autant sur la concurrence, mais plutôt sur l’interdépendance entre acteurs. Ceci permet une spécialisation plus poussée ainsi que des innovations de plus grande ampleur et portée.
Pour résumer, le fonctionnement écosystémique est le mécanisme sous-jacent aux plateformes de l’économie digitale, et d’économie de la connaissance. L’enjeu n’est donc plus de contrôler son procédé de création de valeur de bout en bout, mais bien de savoir s’appuyer sur les compétences de partenaires. Mais aussi de pouvoir, ensemble, capitaliser sur les connaissances, compétences et savoirs-faire des acteurs de l’écosystème.
Le second enjeu réside non pas dans la capacité à disposer de données dans son système d’information, mais bien de traduire ces dernières en connaissances activables. Et par voie de faits, utiles pour les ressources de l’entreprise. Cette nouvelle donne a donc des implications fondamentales sur la manière dont, à titre individuel et collectif, on partage l’information avec son réseau. Ces modalités de partage impactent fortement la gouvernance du SI, ainsi que de l’entreprise.
Selon Elena A. Kolesnichenko, l’économie de la connaissance est un fondement pour le développement de l’industrie 4.0
Les travaux de recherche de Mohan Subramaniam (Carroll School of Management, Boston), mettent en lumière différentes stratégies possibles pour tirer avantage des écosystèmes d’information digitaux.
Pour commencer, cet auteur distingue deux typologies d’écosystèmes dans l’économie traditionnelle :
Le premier type d’écosystème est le plus ancien et le plus ancré dans le paysage économique et entrepreneurial. Ce que la transformation digitale et la désintermédiation (ou “Uberisation”) ont apporté à ces modèles économiques traditionnels est défini par Mohan Subramaniam comme des enveloppes digitales mettant à disposition des informations d’usage. Leur rôle est crucial car elles vont permettre de renforcer et étendre la valeur créée par les écosystèmes de production, mais également d’étendre et de créer de la valeur complémentaire pour les écosystèmes de consommation.
Outre cette disponibilité, l’écosystémie permet de créer un ensemble cohérent. Il rend ainsi possible la capitalisation sur l’information via la création de connaissances nouvelles. On peut donc s’interroger sur : qui sont mes clients ? Quels sont leurs besoins ? Quels comportement peut-on anticiper ? Ceci, afin de prendre des décisions pertinentes pour la bonne marche des opérations.
De plus, ces enveloppes permettent une mise en relation de ces écosystèmes différents, aux objectifs et focalisations complémentaires. La valeur du produit et /ou service proposé s’en trouve renforcée et étendue à de nouvelles applications.
Trois angles d’approche nous paraissent indispensables lorsqu’il s’agit d’appréhender de nouvelles façon de travailler. Voici ce qu’implique la création ou la modification d’un écosystème digital.
La mise en œuvre d’une stratégie digitale écosystémique nécessite donc de revoir en profondeur ses flux. En outre, il faut intégrer dans son système d’information des sources de données extérieures à l’entreprise ou organisation. L’idée est à la fois de pouvoir capitaliser sur les apports des membres de ses écosystèmes mais également de gagner un temps précieux en ne réinventant pas incessamment les procédures et les connaissances nécessaire à la création de valeur.Trois axes stratégiques sont fondamentaux.
Le premier consiste en une adéquation entre les différentes stratégies existantes au sein de l’écosystème. Cet alignement consiste en une méta-stratégie permettant de promouvoir une action organisationnelle orchestrée et cohérente. Pour ce faire, la stratégie du système d’information, se doit de se calquer sur les objectifs stratégiques et opérationnels des différents métiers.
La complexité des organisations (qui en fait sa richesse) induit également une diversité d’enjeux de pouvoirs ou de divergences de directions. Pour pallier ces divergences il est nécessaire de déployer des stratégies qui dépassent les intérêts des groupes en présence. En effet, tel que l’ont montré les travaux de Muzafer Sherif dans les années 1960, la coopération et la collaboration ne sont optimales que dans un contexte de dépassement des intérêts spécifiques des groupes concernés. Dans le cadre de l’écosystème, l’objectif doit donc fédérer les intérêts de chacun des groupes qui y participent.
Selon Mohan Subramaniam, 5 types de stratégies sont envisageables. Toutes reposent sur l’utilisation des données produites et ou récoltées au sein de l’écosystème.
D’un point de vue tactique, opérationnaliser sa stratégie digitale écosystémique nécessite de se concentrer sur certains leviers qui sont autant d’obstacles s’ils ne sont pas traités convenablement.
L’écosystème doit fournir des résultats visibles aux bénéfices partagés par tous. Si l’un des membre de l’écosystème n’y trouve pas ou plus son intérêt, il quittera le réseau. D’autre part il faut garder à l’esprit que la valeur créée par l’ensemble, doit être en mesure de fournir des résultats de meilleure qualité que la somme des contributions de chaque élément de l’écosystème. Elle doit également paraitre attrayante et utile. En outre, cette productivité se fait de manière efficiente, c’est-à-dire qu’elle vise des résultats tout en ayant une gestion raisonnée de ses ressources.
L’ensemble des données, informations et connaissances doivent être partagées équitablement et être accessibles à chacun selon son rôle défini par les modalités de gouvernance (explicites ou implicites). A ce titre, proposer des tableaux de bord synthétiques est un bon moyen de rendre l’information accessible à tous, quel que soit le degré de familiarité avec l’analyse de données.
L’architecture de l’écosystème d’information se doit d’être suffisamment spécifique pour répondre aux besoins de ses utilisateurs, sans trop d’effort d’adaptation de ces derniers. Cependant cette architecture doit être suffisamment générique pour pouvoir répondre aux besoins fluctuants et divers des utilisateurs et des organisations.
Dans cette optique (parfois contradictoire) le SI doit prendre en compte à la fois les types d’utilisateurs et leurs besoins. Mais également les types de relations qu’il gère ainsi que celles qu’il serait à même de gérer à l’avenir.
Eu égard à l’investissement nécessaire, tant d’un point de vue humain que matériel, il est indispensable que l’écosystème soit durable. A la fois d’un point de vue temporel (garantir une qualité de service comparable ou bonifiée au cours du temps), mais également du point de vue des ressources engagées. Ceci implique un autre rapport au retour sur investissement, mais sécurise et stabilise la viabilité du système. Un changement incrémentiel est donc préférable à un changement radical. Ce dernier pourrait effectivement apporter des résultats rapides mais induisant un stress aigu du système.
Les éléments d’un écosystème, pour avoir des interactions de qualité et avancer vers des buts communs doivent parler le même langage, ou a minima arriver à se comprendre. Lorsque l’on parle de SI, il devient donc indispensable d’assurer l’interopérabilité des solutions, des usages et des organisations. En effet celle-ci sera la garante d’une coordination d’ensemble et d’une compréhension mutuelle des parties prenantes, facilitant ainsi l’appropriation de la démarche et des outils.
Les principes de durabilité et d’adaptabilité en sous-tendent d’autres, et notamment celle du réemploi. Lorsque l’on vise la pérennité et la stabilité, ce serait un contresens que de s’appuyer sur l’obsolescence programmée. Adopter une démarche écosystémique nécessite donc de raisonner en termes de modèles, modules ou compétences plutôt qu’en termes de fonctionnalités et développements spécifiques.
Lorsque l’on parle de système d’information, il est courant de prendre en compte l’utilisateur. Et ce, notamment, par la sollicitation de ses besoins, en phase de cadrage du projet. Néanmoins, notre condition d’être humain fait que nous ne savons pas toujours de quoi nous avons besoin. A savoir comment l’exprimer ou parfois à travers un contexte qui n’est pas propice. L’objet de la centration sur l’expérience doit se faire sur du factuel, des comportements, des vécus passés plutôt que sur d’hypothétiques prévisions de besoin.
D’autre part, afin de mieux comprendre les problèmes et enchantements de l’utilisateur dans l’écosystème, il est indispensable de considérer son expérience comme un flux soumis à variation dont le cumul constitue l’expérience globale. Contrairement à un évènement unitaire isolé de toute autre étape.
Pour finir, une expérience négative est hautement plus contagieuse qu’une expérience positive. Et ce, à la fois individuellement et collectivement. Il faut donc prêter une attention toute particulière à l’expérience vécue par l’ensemble des acteurs et cibles de l’écosystème digital.
Le terme d’écosystème peut renvoyer une image d’auto-organisation endogène qu’il convient de tempérer. L’idéal est de réussir à créer un système d’information qui nécessite peu de gestion et s’auto-régule. Cependant, nos organisations humaines ne sont pas habituées à de tels fonctionnements. Il est donc nécessaire de mettre en place des modalités de gouvernance. Au moins le temps d’ancrer le changement dans le système normatif de l’entreprise.
Afin de garantir une adhésion optimale, il est essentiel de distribuer autant que possible les modalités de décision, et d’en faire un processus participatif.
D’un point de vue technologique, le choix des outils mis à disposition dans cet écosystème doit être guidé. Évidemment par le résultat probable en termes de production, mais également via des moyens mobilisés pour atteindre ces résultats. Sans oublier la durabilité de ces effets bénéfiques. Afin d’être en mesure de répondre à l’ensemble de ces enjeux complexes, les fonctionnalités recherchées doivent avant tout mettre l’accent sur l’interopérabilité, la transversalité des usages, l’ergonomie et l’adaptabilité.
Enfin les trois axes technologiques fondamentaux sont les suivants :
Dans la nature, les écosystèmes ne se créent pas ex-nihilo avec des partis pris idéologiques ou technologiques. Au contraire, les écosystèmes naissent de l’adaptation à l’existant et aux caractéristiques et particularités des éléments qui la composent. En fait, ils capitalisent sur les créations utiles et efficaces pour le système. Aussi, il parait avantageux de s’inspirer de cette architecture validée par des milliers d’années d’évolution sur un panel exhaustif d’êtres vivants.
L’architecture biomimétique […] cherche des solutions durables dans le vivant sans vouloir en imiter les formes mais en identifiant des règles de fonctionnement dans des environnements donnés. L’idée dominante est de trouver des systèmes d’organisation résilients, optimisés, adaptable et conformes au développement durable
Florent Parmentier,chercheur associé à HEC
Les principes de cette architecture du bâti peuvent donc avantageusement se trouver transposées à l’architecture du système d’information. L’objectif n’est donc plus de se cantonner à la disponibilité du service. Mais bien de s’assurer que les usages qui en seront fait correspondent aux besoins métiers actuels et (idéalement) futurs.
Mieux encore, la valeur rendue possible par le système d’information doit permettre à chacun de se consacrer pleinement à l’accomplissement de sa mission et au développement de ses compétences. Le tout en s’appuyant sur la valeur créée par les membres et éléments constitutifs de l’écosystème.
Selon Gunter Paulie, inventeur de l’économie bleue, on va pouvoir “générer des plus-values en cascade, en réseau avoir des rétro alimentations et des effets multiplicateurs […] d’un système bouclé, où tout est toujours réutilisé et réutilisable.”
Loin de se cantonner à professer la bonne parole en conférences, ce dernier démontre la faisabilité de ses dires par l’exemple entrepreneurial. Il s’appuie sur l’expérience d’Ecover, fabricant de détergents biodégradables et sur la création d’une usine 100% recyclable. Il se consacre aujourd’hui aux travaux de Zeri. Sa fondation interconnecte les initiatives d’entreprises autour de l’économie bleue et en concrétisant sa vision.
A l’échelle de l’entreprise, la bio inspiration et l’inspiration écosystémique permettent de valoriser les déchets et les coproduits au même titre qu’une matière première. Exemple avec le café servi au bar : seulement 0.2% de la biomasse serait valorisée dans l’écosystème de consommation. Cette donnée contextualisée, associée à des connaissances scientifique a permis notamment de connecter un cafetier avec un réseau d’entreprises de production de champignons en circuit court. L’intérêt de ce circuit court est qu’il valorise le marc comme compost. Les déchets liés à la production de champignons peuvent nourrir du bétail, dont le fumier permet la création de biocarburants.
Sans écosystème d’information, de telles initiatives ne pourraient voir le jour.
Des données isolées sans interprétations, outre leurs qualités intrinsèques, ne sont utiles qu’à des fins descriptives. L’approche préventive, prospective et prédictive, permet de valoriser cette donnée. Elle nécessite sa maturation afin de la transformer en éléments de sagesse actionnables.
Afin de conclure sur le parallèle avec le système d’information, toute donnée sans écosystème d’information n’est qu’un déchet encombrant et couteux à stocker à l’ère du Cloud. En revanche, sa valorisation peut la transformer en matière première de choix. Elle permet alors de structurer l’organisation et créer de la valeur. Et ce, dès lors qu’elle s’inscrit dans un parcours de valorisation pertinent.
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Fabien Silone, PhD
Consultant en innovation & gestion du changement