Dans l’agroalimentaire et d’autres secteurs, innover est un impératif pour conquérir de nouveaux marchés. Tout en assurant sa rentabilité et sa pérennité il faut également savoir se démarquer dans le paysage toujours plus vaste des produits de grande consommation. Si cet impératif est largement partagé, la tâche est moins aisée que le constat. A travers 5 projets d’innovation agroalimentaire, examinons quels sont les pièges à éviter dans cet exercice.
Le premier de ces échecs est celui d’une des plus grandes multinationales du secteur à savoir Coca-cola. L’entreprise disposait d’un produit à succès, déjà largement diffusé et plébiscité depuis 99 ans. Mais nous sommes en 1985, en pleine guerre commerciale entre Coca-cola et Pepsi-cola. Le second s’est en effet distingué par des tests à l’aveugle. Ils ont montré que le goût de son produit était majoritairement préféré à celui du leader du marché. Pour maintenir cette position sur le marché, Coca-cola décide de travailler à une nouvelle recette, « plus douce […] plus harmonieuse ».
C’est donc fier de cette douceur retrouvée que le PDG de l’entreprise annonce à grand renfort de conférences de presse, que le produit phare et classique de la marque est désormais remplacé par cette nouvelle recette. La presse n’a pas tardé à la taxer d’imitation de Pepsi. Mais cette nouvelle douceur s’est révélée amère de conséquences pour le groupe.
Les consommateurs déroutés
En effet, dès le lendemain la valeur de l’action chuta drastiquement, tandis que celle de son concurrent atteignit des sommets. Nouvelle que ce dernier célébra, non sans incrédulité, dans la presse et en offrant un jour de congé à tous les salariés du groupe.
La une du New York Times lors de l’annonce.© New York Times archives
Malgré les 190 000 tests à l’aveugle du nouveau produit, c’était un échec. En effet, l’attachement émotionnel à la marque avait tout simplement été minimisé. Or son importance est capitale pour maintenir ou créer du lien avec ses clients. Ce que la recherche marché avait oublié de tester, c’était bien l’effet du retrait de la recette classique sur les consommateurs. 77 jours plus tard, l’entreprise faisait machine arrière, là encore à grand renfort de flash info et de conférences de presse.
Bien qu’importantes, la qualité intrinsèque du produit et son goût ne sont qu’une partie de l’expérience client. Ainsi, réduire toute sa stratégie d’innovation à ces seules composantes s’avère risqué. Une stratégie prudente aurait été de lancer cette nouvelle recette en parallèle de l’ancienne.
En revanche cet évènement malheureux a eu pour effet de renforcer le lien des consommateurs à la marque. En n’ayant plus accès à la recette classique, ceux-ci ont pu s’apercevoir que ce produit qu’il aiment pouvait disparaitre du jour au lendemain. Stratégie marketing savamment orchestrée ou confusion passagère chez les dirigeants ? L’histoire ne le dit pas. Toujours est-il que ce flop commercial a été de nouveau vendu en édition limitée pour la série Netflix Stranger Things en 2019, en surfant sur la nostalgie des années 80. Une belle manière de prendre (cette fois) en compte les émotions de ses clients.
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Retour d’expérience : L’intelligence artificielle dans l’agroalimentaire
Nous sommes en Irlande au début des années 1970, la Guinness draught, LA bière nationale, perd des parts de marché. Particulièrement auprès des 18-24 ans qui lui préfèrent des alternatives plus légères. L’entreprise décide alors de lancer un produit « allégé » pour répondre aux attentes de ce marché. Prenant note des travailleurs des mines galloises qui préfèrent une bière plus désaltérante à boire en grande quantité, l’équipe de recherche de la marque s’imaginer dominer le marché qu’elle occupe déjà par ailleurs. Idée confortée par les nombreuses études qu’elle diligente pour supporter cette hypothèse.
Le lancement du produit est soigné et préparé comme il se doit. Les pubs sont abreuvés de tapis de service, de verres, d’affiches vantant les mérites du produit. Tandis que la presse et la télévision sont également sollicitées pour diffuser les publicités faisant le parallèle entre le premier pas sur la lune et cette nouvelle bière. Mais voilà, le produit ne prend pas. Les ventes peinent à décoller et restent bien en deçà des attentes instiguées par les études de marché. Guinness missionne alors des experts en marketing qui conduisent des investigations.
Les focus groups leur apprirent certaines expériences vécues par les clients. L’un d’eux rapporta avoir été accueilli par un sarcastique « tu triches, tu bois la Guinness des dames ». Si gustativement les plus jeunes préféraient l’alternative légère, il s’avère que socialement il en était tout autre. Etre associé à l’image d’un ersatz, pâle copie de l’original était difficile à vivre.
En effet, le produit imité étant fortement associé à des pratiques sociales et des représentations. En le déclinant selon une nouvelle recette on s’attaque à la tradition culturelle, ce qui ne manque pas de générer des résistances.
Là encore ce n’est pas faute d’avoir lancé moultes analyses de marché. Le problème réside dans la représentativité des analyses. Le contexte culturel a tout simplement été éludé. Tout autant que le poids de la norme sociale héritée de décennies de pratiques de consommation.
La pression sociale peut-être telle qu’elle ruine toute velléité d’adoption par les early-adopters, les premiers clients à la recherche de nouvelles expériences. Ici, il aurait été intéressant de débuter les analyses par une étude des détracteurs potentiels, à savoir la majorité d’habitués à la recette classique. Présenter le produit sous un autre angle, compatible avec les pratiques en place ou via une autre marque moins chargée culturellement aurait pu aider à une meilleure pénétration du produit sur ce marché.
Oui vous avez bien lu, des plats surgelés par une marque de dentifrice. C’est une idée qui peut paraitre étrange. Pourtant c’était une sérieuse possibilité de développement du groupe dans les années 1960, incité par l’arrivé d’un nouveau dirigeant. Depuis, il est bien difficile de retrouver trace de ces initiatives dont la marque se défend de toute parenté. Pourtant, certaines archives permettent de contredire le message officiel.
Eu égard à la relative confidentialité de cette histoire, peu de choses permettent de contextualiser l’idée. Des tentatives d’investigation autour de celle-ci, on retient que le groupe Colgate à cette époque cherchait à conquérir de nouveaux marchés. Et il se cherchait plus ou moins, notamment en achetant des entreprises agro-alimentaires. Les études de marché et les tests ont visiblement eu raison de cette idée éphémère.
En prenant du recul, l’investissement dans de nouveaux produits éloignés de la gamme habituelle de la marque Colgate ne semble pas problématique. Cependant en tant que consommateur, la décision d’achat et de consommation met à rude épreuve nos capacités à considérer dans le détail chaque association d’idées que l’on pourrait faire. Aussi nous procédons par raccourcis mentaux qui nous simplifient la tâche : les heuristiques.
Par exemple, la catégorisation est un mécanisme cognitif et social qui consiste à regrouper des éléments disparates dans des catégories mentales plus facile à mémoriser. Elles permettent d’adapter sa conduite à tenir quand on est confronté de nouveau à ces éléments. Ce que l’on gagne en énergie cognitive l’est parfois au détriment de la pertinence de notre évaluation.
Un autre biais, qu’on nomme l’effet de halo, consiste à généraliser à l’ensemble d’une situation, d’une personne ou d’un groupe à partir de quelques indices perceptibles. Dans un contexte d’innovation produit, lorsque celui-ci et la catégorisation sont à l’œuvre conjointement, les chances sont maigres pour que le produit soit vu sous un jour objectif.
Lorsqu’une marque de grande consommation est tant associée à une typologie de produit, le fait de changer radicalement de segment ou de secteur suffit à créer de vives réactions. C’est une stratégie porteuse si les deux typologies de produits sont compatibles ou comparables sur certains points comme ce qu’elles apportent au consommateur.
A part l’idée de la fraicheur, peu de choses semblent lier le dentifrice et les surgelés. Peut-être en aurait-il été autrement si le fabricant avait décidé de se lancer dans des bonbons anti-caries ou des chewing-gums pour la santé bucco-dentaire. Lorsque l’on dispose d’une marque établie dans l’esprit des consommateurs, capitaliser sur cet atout ne peut se faire qu’à la condition d’une continuité évidente aux yeux de ceux-ci. Dans ce cas précis il aurait été plus judicieux de s’inspirer des recettes marketing, de l’expertise du réseau de distribution, des méthodes d’innovation (…) commercialisé sous un autre étendard plutôt que de vouloir prendre le boulevard construit par la notoriété passée.
On connaît la chaîne de fast food McDonalds pour ses innovations en matière de process et de modèles d’affaire. A l’origine du succès de la chaîne de restauration rapide. On connaît moins ses échecs qui sont pourtant tout aussi importants pour expliquer son succès aujourd’hui, mais aussi ses positionnements stratégiques. Deux produits illustrent ces échecs : un hamburger en kit et un hamburger pour adulte.
En 1984, l’entreprise lança le McDLT un hamburger en deux parties. Il était servi dans un packaging en polystyrène spécialement breveté pour son besoin. A savoir de séparer les parties froides des parties chaudes du sandwich. L’idée semble saugrenue d’autant que le résultat laissait dubitatif pour de la restauration rapide.
illustration du brevet lié au packaging du McDLT. Iptica.com
Le client se retrouve à devoir assembler lui-même son plat, et la partie froide était souvent à la même température que la partie chaude. La faute à un équipement spécifique dont tous les points de vente n’étaient pas équipés. La recette a cependant continué à s’améliorer dans les décennies qui ont suivi pour se trouver encore au menu aujourd’hui dans quelques rares enseignes de la marque.
En 1994, la firme aux arches jaunes récolte le succès de sa stratégie marketing visant à faire venir les familles dans ses points de vente. Pourtant elle prend à cœur les retours de terrain des consommateurs qui l’identifient à 78% comme une bonne nourriture pour les enfants mais seulement à 18% pour les adultes. Deux ans de Recherche et développement plus tard, l’entreprise décide de dédier 200 millions de dollars de budget pour le lancement du Arch Delux, un burger spécial pour les adultes.
La publicité va même jusqu’à montrer des enfants dégoutés par ce met si raffiné aux ingrédients secrets. Mais les inquiétudes venant du réseau de franchisés ne tardent pas à venir aux oreilles de la maison mère. Celle-ci tente de minimiser l’échec en gardant secret l’écart considérable entre les objectifs de vente et les ventes effectives.
Les consommateurs ne l’apprécient pas et critiquent négativement la prétendue qualité du produit. Très loin des standards de fraicheur nécessaires à ce type de produits. La nouvelle image de la marque ne prend pas. Peu à peu l’Arch Delux n’est plus disponible que ponctuellement.
En 1999, il disparaît officiellement. Là encore le produit final n’était pas à la hauteur de la promesse. De plus il paraissait totalement incohérent par rapport aux standards de l’époque qui consistaient à préparer à l’avance les produits. Depuis des changements profonds ont été réalisés sur l’ensemble de la chaine de production mais aussi dans l’expérience client. L’orientation premium est de nouveau au menu de la chaine. Là encore, on ne change pas toute son image de marque seulement avec de nouveaux produits.
Ces échecs démontrent la nécessité du dialogue entre les parties prenantes. Exercice d’autant plus difficile dans un réseau de franchise aussi vaste, tant les objectifs peuvent être antagonistes malgré une bannière commune. Ici les décisions d’orientation marché furent unilatérales de la part de la maison mère. Pourtant, une vérification de la capacité à délivrer la promesse qui entourait les nouveaux produits aurait permis de lever quelques alertes, autant de signaux faibles à analyser.
Ecouter et anticiper les besoins des clients aurait également permis de mieux comprendre le positionnement à adopter pour être en adéquation avec leurs attentes. Selon la marque, ces points sont visiblement mieux considérés aujourd’hui, aidés dans cette tâche par le recueil et l’analyse désormais facilitées par les technologies numériques.
« Et si on faisait un soda qui serait comme un bonbon mais liquide ? » Telle pourrait être l’idée à l’origine de ce produit développé et mis sur le marché en 1980 par la marque de bonbons Life Savers. Celle-ci devait sa réussite à une idée à succès de 1912, à savoir pouvoir manger des bonbons en été sans qu’ils fondent sous l’effet des hautes températures.
Si le soda avait été bien noté dans les tests gustatifs préparatoires, cela ne fut pas suffisant pour assurer un succès commercial. Pourtant le packaging avait repris les codes de la marque bien établie sur son marché. Mais l’idée d’une telle quantité de sucre a visiblement rebuté plus d’un consommateur. Si la forte concentration de sucre parait acceptable dans un bonbon, la transposer en faisant un parallèle direct avec une boisson semble beaucoup moins acceptable.
Là encore, les mécanismes cognitifs humains peuvent être en jeu. Le raisonnement déductif consiste à partir de connaissances générales pour en déduire une connaissance particulière sur un objet. Le raisonnement par analogie consiste à faire des comparaisons pour en arriver à une conclusion. Dans notre cas, la combinaison de ces deux mécanismes pourrait se traduire ainsi :
« Les bonbons sont très sucrés donc une boisson au bonbon, de la même marque l’est aussi. Je sais qu’il ne faut pas trop abuser du sucre. Qu’est-ce qu’un verre de bonbon donnerait en termes de sucre ? Ça dépasse l’entendement tant c’est sucré ! On va donc éviter… »
Une association d’idée heureuse sur le paperboard d’un département R&D peut se révéler désastreuse lorsqu’elle est partagée directement à grande échelle, si les potentiels effets ne sont pas anticipés. Ici, le packaging a facilité l’association entre bonbon et soda. Là ou d’autres marques prospèrent en prenant soin d’atténuer cette perception. Une solution peut être de tester les différences de perception selon les packagings. Et ensuit choisir celui qui sert le mieux les objectifs de vente et de ciblage du produit.
Vous ne disposez peut-être pas des budgets marketing et R&D des grandes entreprises que l’on vient d’évoquer. Aussi l’apprentissage par l’échec a des conséquences sans doute plus néfastes dans votre contexte. La tentation est ainsi grande d’innover par petites touches sans tenter de grands bouleversements. Or les changements sont aujourd’hui constants, rapides et peu prévisibles, ils nécessitent donc de l’expérimentation pour permettre de s’y adapter.
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Retour d’expérience : L’intelligence artificielle dans l’agroalimentaire
Fabien Silone, PhD
Consultant en innovation & gestion du changement