L’innovation technologique est, pour beaucoup, d’un attrait incomparable, source de progrès et de libération de l’individu. Pour d’autres elle peut être source de crainte et de désarroi. Pourquoi les changements qu’elle implique suscitent-ils de telles différences de perception ? Quel est notre rapport au numérique et quels sont les moyens à mettre en œuvre pour accompagner efficacement ces changements ?
Voici à quoi peut ressembler une interface entre humain et technologie : une interface homme-machine (IHM). Ceci est donc, vous l’aurez deviné, l’image d’un cockpit d’avion. Il a pour vocation de simplifier l’accès à des données cruciales permettant de le piloter.
Si vous n’y connaissez rien au décryptage de ces données, cette « simplification » et concentration de l’information peut vous paraître rédhibitoire, voire effrayante. Pourtant, elle est vouée à simplifier l’usage d’une technologie qu’est l’avion.
Paradoxal n’est-il pas ? C’est ce qui a fait dire à Donald Norman, psychologue cognitiviste et précurseur de l’expérience utilisateur (UX) et du design thinking, la chose suivante :
« La même technologie qui simplifie la vie en fournissant plus de fonctions dans chaque appareil complique également la vie en rendant l’appareil plus difficile à appréhender et plus difficile à utiliser. C’est le paradoxe de la technologie. »
Norman, 1988.
Ce paradoxe technologique ne poserait question à personne si cette complexification croissante ne touchait que des systèmes experts, tels que des IHM de supervision par exemple. En effet, ces systèmes, comme leur nom l’indique, sont destinés à des experts dûment formés à leur usage et dont l’essentiel de l’activité est médiatisée par cet outil.
Aujourd’hui, les technologies nous accompagnent dans tous les aspects de notre vie et touchent ainsi un grand nombre de personnes. Pour autant, la complexification de leur usage n’est pas aussi bien encadrée que celle des systèmes experts (même si la frontière est aujourd’hui bien floue avec le phénomène du BYOD).
La montre: simple à l’origine, complexe aujourd’hui
La montre par exemple est un objet somme toute assez simple à l’origine : un objet = une fonction : donner l’heure. En revanche, elle est aujourd’hui bien plus complexe du fait qu’elle concentre un grand nombre de fonctions parfois disparates. Avec cette montre, on peut lire des courriels et des SMS, mesurer des données physiologiques, écouter de la musique… Certaines ont même un rôle de coach personnel, en allant jusqu’à suggérer des changements de comportements (en cas d’activité physique insuffisante par exemple).
La montre actuelle, connectée, concentre donc en son sein une grande complexité. Et de ce fait la navigation entre ces fonctions peut-être vécue différemment selon les individus et selon la conception de cette technologie. Selon le rapport que nous entretenons à la technologie, ce paradoxe technologique peut être perçu différemment et influencer l’adoption, ainsi que les usages effectifs des outils proposés.
Certains, forts de leur point de vue de technophiles convaincus, objecteront que toute technologie qui se respecte, si elle est bien conçue d’un point de vue technique, recevra l’adhésion du public qu’elle cible et qu’en résumé son succès se résumera à sa qualité intrinsèque.
Cependant, quand on s’intéresse au lien entre les usages et l’innovation technologique on s’aperçoit que ce qui va déterminer le succès d’une innovation c’est bel et bien son adoption et son usage massif, voire systématique. Et non son avance technologique ou sa qualité technique. Ainsi, seul l’usage est décisif.
Tel pourrait être l’avis de Rabelais s’il vivait à notre ère de « révolution numérique ». Mais pourquoi ?
Prenons un exemple : le LaserDisc.
Pour resituer le contexte nous sommes dans les années 90. L’accès au divertissement audiovisuel à domicile bat son plein. De nombreux audiophiles et cinéphiles peuvent s’adonner à leur passion. L’usage de différentes technologies est désormais abordables, telles que le visionnage de film sur VHS.
Une nouvelle technologie proposant une meilleure qualité sonore et visuelle pour les films est mise sur le marché. Le support se présente sous un format comparable à celui des disques vinyles. En outre, il améliore grandement l’expérience de visionnage : meilleure qualité, pas de rembobinage, une dégradation moins importante au cours du temps… Bref, un système à choisir « les yeux fermés » selon Ray Charles dans une publicité de Pioneer en vantant les mérites.
Le problème est qu’en dehors du Japon, le succès commercial du LaserDisc a été plus que discutable.
« [LeLaserDisc] a contribué au plaisir audiovisuel de tant de consommateurs partout dans le monde. Cependant, dans l’environnement du marché [de] nouveaux médias […] dominent maintenant […] Pioneer a été forcé de mettre fin à la production de ses produits LD. »
Communiqué de presse Pioneer, 2009
Pourquoi cet échec ? Plusieurs éléments peuvent participer à répondre à cette question.
Toute erreur a cependant quelque chose à nous apprendre, comme l’a illustré la démocratisation du CD audio ou encore l’arrivée du DVD. Des innovations qui ont été de grands succès d’usage.
En synthèse : la complexification croissante de nos écosystèmes technologiques ne facilite pas l’adoption des nouvelles technologies, systèmes et outils. Il est aujourd’hui difficile de capter l’attention, d’autant qu’il est également du devoir moral des concepteurs de limiter la surcharge cognitive et attentionnelle des utilisateurs. Aussi, ne focaliser son attention que sur les aspects techniques conduirait inévitablement toute nouvelle technologie aux oubliettes des usages. Et ce, quelle que soit sa qualité technique.
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Webinar : Comment gérer les résistances face au numérique
Fabien Silone, PhD
Consultant en innovation & gestion du changement