Les outils de gestion relationnelle type CRM permettent de capter des données sur ses clients et prospects, on commence à bien le savoir aujourd’hui. En revanche, on sait moins que ces mêmes principes et outils peuvent être appliqués dans sa relation aux usagers et citoyens… pour peu que l’on s’appuie sur des stratégies comportementales solides. C’est le cas de Cape Town en Afrique du Sud. Cette ville a su réorienter sa stratégie et éviter de justesse la catastrophe annoncée de pénurie d’eau potable.
Comme décrit dans un article du Behavioral Scientist par Ammaarah Martinus, directrice de la recherche en politique publique pour la province du Cap-Occidental, et Faisal Naru responsable du management stratégique pour le bureau de la direction générale de l’OCDE, il est des changements plus importants que d’autres.
Comme celui que la ville de Cape Town en Afrique du Sud a dû initier, du fait de sa nécessité vitale pour ses habitants. Ces derniers devaient faire face à la probabilité quasi inéluctable du « Day zero ». Soit le jour où il n’y aurait plus d’eau potable. En effet, en mai 2017 les prévisions de pluies furent telles, qu’il était attendu un épuisement des réserves le 22 avril 2018, un peu moins d’un an plus tard.
Fort de cette information à courte échéance, les pouvoirs publics se saisirent du sujet. Ils ont déployé une approche classique notamment en recourant à la contrainte. Pour cela ils ont imposé des restrictions obligatoires, ainsi que des mesures punitives en cas de non-respect.
Cela prenait la forme d’installation de dispositifs de restriction d’usage, à la charge du contribuable incriminé. Un mois plus tard, le ton se durcit. Au programme, la mise en place de réduction de pression dans le réseau de distribution et la distribution d’amendes pour les contrevenants à la règlementation. Mais les résultats n’étaient toujours pas à la hauteur des enjeux : les habitants, malgré la menace, persistaient à ne pas respecter les consignes.
La communication qui entourait le dispositif, au lieu de le faciliter, rendait confus les messages à la population. Elle ne comprenait pas ce qu’elle devait faire concrètement pour respecter les nouvelles règles et éviter le day zero. Ce non-changement se traduisit par des mesures de plus en plus drastiques. Cependant elles échouèrent à changer le comportement des habitants. Pour ne rien arranger, la saison des pluies 2017 (juin à août) fut conforme aux prévisions.
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Désormais consciente de l’inefficacité de sa première campagne, la ville changea sa stratégie en janvier 2018. Elle décida de clarifié ses messages à travers des appels à l’action concrets et de nouveaux ancrages des comportements. Ainsi, trois axes techniques furent choisis.
En partageant les enjeux de façon honnête et transparente (si rien ne change on ne va plus avoir d’eau potable dans 3 mois), la ville recentra sa communication sur des objectifs individuels clairs, partagés et égalitaires.
Des affiches placardées dans toute la ville déclinaient la limite de 50 litres par jour et par personne en unités de consommation : 10 l pour la douche, 3 l pour la boisson, 9l pour les toilettes … Il était également régulièrement précisé que ces normes s’appliquaient à tout le monde. Et ce, quel que soit le niveau socio-économique, avec une emphase sur le sort commun qui attendait tous les habitants.
Une affiche de Cape Town pour concrétiser l’objectif individuel de changement
La diffusion d’informations en continue se faisaient l’écho dès lors que des résultats encourageants étaient enregistrés. Afin notamment de bénéficier d’une rétroaction, mais aussi de perpétuer l’élan initié.
Plusieurs initiatives nudge* furent menées afin de rendre le changement de comportement plus explicite et visible. L’une permettait de visualiser sur une carte les foyers qui réduisaient avec succès leur consommation d’eau, de manière que les sceptiques entrent dans une émulation et afin de démontrer que les objectifs étaient tenables.
D’autres consistaient à donner des moyens mnémotechniques amusants pour rester dans le cadre des objectifs tels que des chansons de 2 minutes pour tous les goûts. Les airs réalisés par des artistes sudafricains, étaient à écouter sous la douche.
A cette initiative s’ajoutent des affiches de rappel avec des conseils sur le ton de l’humour (« if it’s yellow let it mellow » pour inviter à ne pas tirer systématiquement la chasse d’eau). Enfin, dernier levier, une mobilisation des écoles à travers des défis de réduction de consommation d’eau. Des capteurs d’eau, ont été installés au domicile des élèves afin de mesurer leur consommation.
Photos promotionnelles d’artistes pour les « 2mn shower songs » Sanlam©.
Grâce à cette stratégie globale et basée sur le fonctionnement humain réel, en situation, la ville de Cape Town a su éviter un désastre, à un mois de l’échéance. Ce que l’on peut retenir de son expérience c’est l’humilité et le recul à avoir par rapport à ses propres stratégies. En effet, si les décisionnaires n’avaient pas accepté de remettre en question leurs techniques et stratégies d’intervention, le changement n’aurait pas été possible. Et ce, malgré une échéance à enjeux extrêmes.
En outre, l’efficacité des initiatives doit être vue de manière systémique dans leur complémentarité et interdépendance. La communication claire du gouvernement a permis la bascule. Toutefois elle aurait été insuffisante à elle seule. De même que les « 2 minutes shower songs ». Hors de leur contexte elles sont sympathiques mais pas au point de susciter un changement de comportement à cette échelle.
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Pour mettre toutes les chances de son côté il est donc indispensable de « chainer » les dispositifs et initiatives. Elles permettent de créer de nouvelles dynamiques d’ensemble.
Inspirés de ce retour d’expérience, voici quelques conseils pour passer à l’action.
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Fabien Silone, PhD
Consultant en innovation & gestion du changement
Références
Martinus, A., & Naru, F. (2020, October 19). How cape town used behavioral science to beat its water crisis. Behavioral Scientist. Retrieved November 21, 2020, from https://behavioralscientist.org/how-cape-town-used-behavioral-science-to-beat-its-water-crisis/
Howard, D. J. (1995). “Chaining” the use of influence strategies for producing compliance behavior. Journal of Social Behavior & Personality, 10(1), 169–185.
*Les nudges ou coups de pouce sont des incitations douces qui se basent sur la facilitation du changement via des mécanismes du comportements humain scientifiquement éprouvés plutôt que l’approche menace-récompense et empirique couramment admise. La notoriété du terme revient à l’ouvrage éponyme de Richard Thaler et Cass Sunstein, tous deux professeurs d’économie.